La diplomatie américaine, telle que dévoilée par WikiLeaks, décrit le président de la RDC comme un dirigeant peu sûr de lui, ayant des difficultés à s’affirmer. Mais elle reconnaît aussi à Joseph Kabila une certaine capacité d’écoute et quelques bonnes décisions. Petit florilège des câbles américains, à quelques jours des élections présidentielle et législatives du 28 novembre.
« Kabila reste une énigme ». Ce commentaire de William Garvelink, deux ans et demi-après son arrivée en tant qu’ambassadeur des États-Unis à Kinshasa (c’était en octobre 2007), illustre bien l’épaisseur du mystère que représente le président congolais pour les Américains, selon les documents révélés par WikiLeaks.
« Son pire cauchemar » ne serait autre qu’une alliance entre « ses deux plus puissants voisins, l’Angola et le Rwanda » contre lui, juge par exemple le diplomate américain en décembre 2009, qui ne voit pourtant « aucun signe convaincant » de cette possibilité.
Même en politique intérieure, Joseph kabila semble méfiant vis-à-vis des Forces armées de RDC. « Son but est la survie », juge ainsi Alan Doss, alors chef de la mission des Nations-Unies dans le pays, cité dans un câble de 2009. « C’est pourquoi il n’a jamais critiqué publiquement les FARDC, contrairement à d’autres institutions gouvernementales », analyse l’ambassadeur.
Grande souffrance psychologique
À travers les nombreux câbles consacrés à la RDC, Kabila apparaît également peu au fait de certains dossiers majeurs. Ainsi, quand en mai 2009, le président du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, vient le convaincre de renégocier les contrats chinois, il paraît cueilli à froid. « Kabila était très certainement mal informé sur cette question avant la visite de Strauss-Kahn », commente Garvelink. Le mois suivant, le gouvernement congolais prend contact avec Pékin pour commencer la renégociation, constate Washington avec une satisfaction mêlée de surprise. « Il n’est pas sûr que Kabila aurait compris entièrement ce qui était requis, ou aurait eu la volonté de prendre la décision politique, sans la visite de Strauss-Kahn ».
La grande susceptibilité du président congolais étonne aussi les Américains. Se confiant à l’ambassadeur de Belgique, Dominique Struye, en janvier 2010 (lequel rapporte ensuite la conversation à ses homologues américains, français et britannique), il apparait « clairement vexé » par les reproches des occidentaux. Ces derniers « se focalisent sur des problèmes spécifiques et parlent ensuite de la RDC uniquement sous cet angle, ainsi que de l’incapacité de Kabila à les régler » […] « D’après Struye, Kabila a une grande souffrance psychologique parce qu’on le juge selon des critères bien plus élevés que beaucoup d’autres dirigeants. Struye est allé jusqu’à estimer que Kabila évite les réunions internationales parce que les chefs étrangers s’en servent pour lui rappeler ses nombreux échecs et que la presse étrangère aime le critiquer ».
"Il agit peu et parle encore moins"
Mais, commente l’ambassadeur américain, « Kabila est un homme qui agit peu et parle encore moins et il ne s’est pas fermé aux avis, dont ceux des Américains et des Européens, sur les changements nécessaires dans l’armée, même si ce genre de conseils ne sont généralement pas écoutés ».
Du coup, la « communauté internationale » tente de « couver » collectivement le président congolais. « Quel que soit la personne qui appelle Kabila, nous nous sommes mis d’accord sur la nécessité de coordonner notre message », rapporte un diplomate américain le 30 décembre 2009, après une rencontre au sommet avec les représentants des Nations-Unies, de l’Union européenne et des États-Unis à Bruxelles. « Encourager Kabila à exercer plus d’autorité et à rentrer à en contact avec les partenaires sur de nombreux sujets importants » est « l’un des défis de l’année » juge même l’ambassadeur américain début février 2010.
Plus significatif de la frustration des Américains face à lui, à l’heure du bilan de l’année 2009, Garvelink envisage même de le contourner. « Étant donné les échecs de Kabila, nous devons apprendre à nous servir d’avantage des autres sujets sensibles au sein du gouvernement de RDC, pour faire avancer nos objectifs communs ».
Indulgence américaine
Mais au fil du temps, le jugement des Américains sur Kabila se fait de plus en plus indulgent. Ainsi, lorsqu’il décide de rejeter le budget voté par le Parlement, le 31 décembre 2009, l’ambassadeur a peine à croire que c’est bien le souci des finances publiques qui a motivé ce geste. « Le sens du refus du président Kabila de signer le projet de budget 2010 n’est pas clair », écrit Garvelink le 8 janvier 2010. Trois semaines plus tard, il rapporte que des « contacts » au ministère des Finances et du Budget lui ont assuré que Kabila « cherchait réellement à s’assurer d’un budget réaliste qui ne menacerait pas les progrès du gouvernement de RDC vers le point d’achèvement de l’Initiative des pays pauvres très endettés » [PPTE, processus qui permettra finalement à la RDC de se débarrasser d’une partie de sa dette, NDLR]. L’ambassade est « d’accord avec cette analyse », peut-on lire dans ce télégramme.
Pour Washington, le bilan des années Kabila n’est donc pas totalement négatif. « L’année 2009 s’est achevée avec de prudents signes d’optimisme. […] Les relations avec les voisins de l’Est se sont beaucoup améliorées, […] les attaques sur les journalistes ont baissé, une presse libre continue de prévaloir, et une opposition qui se fait entendre existe, même si celle-ci s’autodétruit ». En définitive, note la diplomate américain, le manque de leadership de Kabila « ne veut pas dire que le pays ne bouge pas par lui-même ».